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Le 30 novembre 2023, la CIB a été invitée à participer à l’atelier de jurisprudence francophone de l’AHJUCAF qui s’est tenue à la Cour de cassation à Paris dans la bibliothèque des avocats à la Cour de cassation, qui rassemblait des avocats, magistrats et universitaires venus de divers horizons. L’AHJUCAF est l’Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l’usage du Français.

La CIB remercie l’AHJUCAF de l’associer à ses travaux tant il est important que magistrats et avocats qui œuvrent ensemble, se connaissent et dialoguent entre eux.

La CIB était représenté par Laurent Poulet, Avocat aux Conseils et administrateur de la CIB. Il a fait un rapport sur les « principes du procès équitable ». Les travaux sont disponibles via le lien suivant :

Atelier de jurisprudence | AHJUCAF

Vous pouvez retrouver l’intervention de Laurent poulet ci-dessous, bonne lecture !

Cet atelier hautement enrichissant permet de jeter un regard croisé sur les pratiques jurisprudentielles au sein de notre tradition juridique commune.

 

La consultation de la base des données Juricaf offre un certain nombre de décisions très intéressantes illustrant le thème retenu.  Trois arrêts ont été retenus : un de la Cour suprême du Niger du 7 décembre 2006 (i)., un autre de la Cour de cassation du Burkina Faso du 26 novembre 2015 (ii), et un troisième de la Cour suprême du Bénin du 1er décembre 2021.

 

  • Les faits se déroulent au Niger. Niger où a eu lieu le 37ème congrès de la CIB de décembre 2022. Un jugement a été rendu le 31 mars 2004 par le juge chargé des affaires civiles et coutumières de Diffa, ville du sud-est du Niger, près du Nigeria. Ce juge a donné acte de la prestation de serment coranique d’une partie et a dit qu’un domaine, qui était l’objet du litige, était la propriété de la famille de ce dernier., le tribunal de Diffa, statuant à la fois en matière coutumière et en cause d’appel, a confirmé le premier jugement par décision du 7 janvier 2005.

La partie perdante a alors formé un pourvoi en cassation. Elle invoquait la violation du double degré de juridiction en ce qu’un même assesseur avait siégé en première instance et en appel. Pour bien comprendre le sens et la portée de ce moyen, il faut rappeler la substance de l’article 36 de la loi n°62-11 du 16 mars 1962 fixant l’organisation et la compétence des juridictions de la République du Niger. Cet article dispose que « pour le jugement des affaires prévues à l’article 5 le juge de paix doit s’adjoindre deux assesseurs représentant la coutume des parties » tandis que l’article 5 al 4 de cette même loi précise qu’« en matière coutumière, des assesseurs avec voix consultative complètent la Cour suprême, le tribunal de première instance et le juge de paix ».

En l’espèce, un même assesseur avait siégé aussi bien en première instance qu’en appel. Aussi, la Cour suprême du Niger a jugé que cette irrégularité devait entraîner la nullité de la décision frappée de pourvoi.

Du point de vue des sources du droit, la Cour suprême du Niger s’est référée, dans son propre arrêt, à une décision rendue par la Cour de cassation française le 16 juillet 1991[1] par laquelle celle-ci avait jugé qu’un magistrat qui avait siégé en première instance ne pouvait plus statuer en appel.

Il faut observer que la Cour suprême du Niger, par cette décision, a montré son attachement au principe d’impartialité puisqu’elle a appliqué les principes énoncés par la Cour de cassation française à des assesseurs ayant uniquement voix consultative.

 

  • An Burkina, en septembre 2012, le TGI de Banfora avait condamné un prévenu à 18 mois de prison ferme, pour escroquerie. Un an après, en 2013, ce même TGI de Banfora était de nouveau saisi d’une affaire pénale concernant ce même prévenu, plus précisément une citation à comparaître cette fois pour abus de confiance. Le prévenu a demandé le dessaisissement de l’affaire et son renvoi au TGI de Ouagadougou en fondant sa demande sur deux motifs : d’une part, une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime à l’égard du TGI de Banfora. D’autre part, subsidiairement, un renvoi pour une meilleure administration de la justice.

Ces deux demandes, principale et subsidiaire, s’expliquent par le fait que l’article 642 du Code de procédure pénale burkinabé dispose qu’« en cas de rejet d’une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, la Cour peut cependant ordonner le renvoi dans l’intérêt d’une meilleure administration de la justice ».

Le prévenu prétendait que, dans la première affaire, la procédure aurait été expéditive et partiale et que le président du tribunal se serait fait corrompre.

La chambre criminelle de la Cour de cassation du Burkina Faso a retenu que la suspicion ne reposait sur aucun élément pour la légitimer. Elle a également énoncé, à titre surabondant, que le président du tribunal n’était plus en poste au moment où le prévenu était cité à comparaître dans la seconde affaire.

Néanmoins, la chambre criminelle a accueilli la demande subsidiaire présentée par le prévenu. Elle a ainsi énoncé : « la charge médiatique de la 1ère affaire va sans doute déteindre sur le traitement de la présente procédure si celle-ci est conduite par le tribunal de grande instance de Banfora ». En conséquence, dans l’intérêt d’une meilleure administration de la justice, l’affaire a été renvoyée au TGI de Ouagadougou.

Personne ne s’étonnera qu’une telle décision ait été rendue au Burkina Faso, le pays des hommes intègres.

 

Depuis huit ans, Laurent poulet sillonne l’Afrique francophone, apprécie les points communs de notre culture : le partage d’une même langue, d’une même langue juridique et d’un droit qui est très proche, que l’on soit en France, en Afrique de l’Ouest ou en Afrique centrale. Cette appréciation s’étend à nos différences, comme en témoignent les recherches sur le site Juricaf des arrêts relatifs à l’impartialité où l’on retrouve à la fois des notions juridiques familières, mais également des problématiques, des considérations factuelles qui sont parfaitement inédites en France.

 

  • C’est le cas du troisième arrêt, rendu par la Cour suprême du Bénin. Le Bénin, là où l’AHJUCAF s’était réunie pour son assemblée générale en juin 2022. Le Bénin, qui est si bien représenté par Monsieur le Président Adossou, par ailleurs président de l’AHJUCAF. L’affaire se présente ainsi : le collectif des sages, notables et membres des associations de développement de Ouindodji (arrondissement de Atchoukpa, commune de Avrankou, dans le sud-est du Bénin) a saisi la chambre administrative de la Cour suprême du Bénin en lui demandant de révoquer leur chef du village. Ils lui faisaient un certain nombre de griefs, en particulier celui d’être illettré, de ne savoir ni lire ni écrire le français. Ils soutenaient que la personnalité du chef de village mettait à mal la cohésion de la population du village. Enfin, ils lui reprochaient de ne faire preuve, dans l’exercice de ses fonctions, ni d’équité ni d’impartialité.

On pourrait considérer que cet arrêt ne présente pas d’intérêt particulier, du point de vue du procès équitable, puisque la chambre administrative de la Cour suprême du Bénin s’est bornée à se déclarer incompétente pour connaître de ce recours ; elle a énoncé que l’initiative d’une telle procédure de révocation appartenait aux membres du conseil communal ou municipal.

Mais, cet arrêt doit tout de même retenir notre attention. En effet, les réalités ne sont pas les mêmes au Bénin et en France. Et les chefs de village, tout comme les chefs de quartier, sont des sortes de juges de proximité, compétents pour un certain nombre de petits litiges[2]. Ce n’est pas la justice étatique, mais ce que l’on pourrait qualifier de « justice sous l’arbre ».

L’exigence d’impartialité, qui concerne traditionnellement les juges étatiques ou les arbitres, pouvait également être envisagée pour les chefs traditionnels.

Au-delà de l’anecdote, la question de l’application des principes du procès équitable à cette justice traditionnelle est passionnante.

Si, dans certains États, il existe une sorte de divorce entre la justice étatique et les justiciables, c’est parce que ces derniers ne se reconnaissent pas dans la première. La justice étatique est souvent considérée comme importée d’Occident, de sorte que beaucoup de justiciables considèrent qu’elle ne répond pas à leurs attentes. Aussi, sont-ils conduits à s’en détourner et à s’orienter vers la justice traditionnelle.

On peut s’interroger sur la possibilité de soumettre cette justice à des principes relevant du droit occidental.

Le seul fait que la chambre administrative de la Cour suprême du Bénin ait été saisie indique que certaines actions peuvent être envisagées en ce sens.

Mais ce qui est possible n’est pas nécessairement opportun. Est-ce une bonne idée de vouloir soumettre la justice traditionnelle à des principes provenant du droit occidental ? La question est ouverte.

 

1er arrêt : Cour suprême du Niger, 7 décembre 2006, https://juricaf.org/arret/NIGER-COURSUPREME-20061207-2006CS103JN

2ème arrêt : Cour de cassation du Burkina Faso, chambre criminelle, 26 novembre 2015, https://juricaf.org/arret/BURKINAFASO-COURDECASSATION-20151126-22

3ème arrêt : Cour suprême du Bénin, 1er décembre 2021, 2021-01/CA2/CJD, https://juricaf.org/arret/BENIN-COURSUPREME-20211201-202101CA2CJD

 

[1] Civ 1, 16 juillet 1991, n°90-15.487 ;

[2] Prosper Nkou Mvondo, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la justice de l’Etat ».

CIB Avocats

La CIB a pour objet de créer une structure de coopération entre les Barreaux de pays de tradition juridique commune, c’est-à-dire essentiellement les Barreaux francophones.

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